Un article signé Marc Campesi, Diagonale Concept
Sujet brûlant, l’enjeu du confort d’été doit aujourd’hui s’inscrire en lettres capitales dans les stratégies et les dispositifs de rénovation énergétique et de conception des bâtiments. Plus que de la subir, il est temps de faire corps avec la nature pour en puiser les bienfaits, des innovations et des solutions pérennes.
D’ici 2050, les canicules seront plus fréquentes et plus intenses. Le 25 juillet 2019, la température était de 42.6°C à Paris en journée et plus de 30°C la nuit. La première fonction de l’habitat étant de protéger ses résidents, nos villes et nos bâtiments seront-ils en mesure de nous préserver des canicules à venir ? Quid du confort d’été dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), dont la finalité est d’atteindre en France la neutralité carbone d’ici 2050 via notamment la massification de la rénovation énergétique ?
Le confort d’été, encore trop négligé ?
Les réglementations thermiques successives pour la construction neuve prennent graduellement en considération le confort d’été, à travers le Besoin bioclimatique (Bbio) ou encore l’indicateur degré-heure (DH)*. Dans le maigre artifice réglementaire de la rénovation thermique des bâtiments, rien ou presque ne garantit aux « habitants » du parc ancien ou existant une température acceptable dans leur lieu de vie ou de travail. Seuls les bâtiments de plus de 1 000 m² soumis à la RT globale font référence à une « température acceptable ». La prise en considération du confort d’été dans les projets de rénovation thermique reste donc une démarche volontaire ou le choix d’une labellisation exigeante.
Isoler un bâtiment dans le cadre d’une rénovation thermique n’est pas non plus un gage absolu de protection contre les vagues de chaleur. Les acteurs de l’immobilier d’entreprise ou du parc résidentiel sont actuellement incités, voire accompagnés, dans la rénovation énergétique de leur bâtiment. Mais ces opérations ciblent exclusivement la réduction des consommations d’énergie, comme le prévoit le décret tertiaire, ou dans le meilleur des cas le tandem énergie & carbone (rénovation des passoires thermiques F et G et interdiction des chaudières fioul) dans le résidentiel. Le confort d’été comme la qualité de l’air intérieur restent en outre exclus de ces dispositifs. Pourquoi ne pas envisager une approche plus globale ?
Penser aujourd’hui des dispositifs de confort pérennes
Isolation extérieure inadaptée au confort d’été, remplacement d’une étanchéité en toiture par une solution non compatible avec une centrale photovoltaïque (l’électricité verte peut permettre de faire fonctionner des équipements de rafraîchissement) … : les solutions d’aujourd’hui ne doivent pas devenir pas les problèmes de demain. Désormais, la démarche tient davantage de la qualité de conception et de la capacité d’évolution que du budget.
Le confort d’été et la qualité de l’air intérieur, c’est maintenant ! Pour atteindre l’objectif de massification de la rénovation énergétique, les sommes à mobiliser sont considérables : l’Institut de l’Économie pour le Climat (Caisse des dépôts et consignations) avance le chiffre de 33 milliards d’€ par an jusqu’en 2050. Pour une rénovation thermique, les coûts de travaux se situent entre 300 et 500 € HT/m² dans le résidentiel et de 300 à 800 € HT/m² dans le secteur tertiaire (selon la cible décret tertiaire 2030 ou 2050). En outre, il apparaît difficile pour les acteurs de l’immobilier et les propriétaires de financer une nouvelle opération de rénovation « confort d’été » d’ici 10 ans ou 15 ans.
Quelles solutions pour adapter nos villes et nos bâtiments ?
Le confort d’été sans émissions de CO2 ne se résume pas à une solution universelle mais à un mix de dispositifs architecturaux, techniques, comportementaux et en premier lieu à une coopération vertueuse avec le formidable potentiel de nature.
Nous sommes par exemple intervenus auprès de l’entreprise KTR France afin de faire l’éco-rénovation d’une passoire thermique des années 1970 d’une surface d’environ 900 m². Il s’agissait d’une rénovation globale à énergie positive tous usages et bas carbone réalisée en 2017-2018 (lauréat international Green Solutions Awards 2018).
Avec Pierre Martin, Directeur France de KTR, nous avons partagé l’idée de coopérer avec la nature pour faire de ce bâtiment une rénovation exemplaire et un lieu habité, confortable en toute saison. Du végétal aux parkings, en passant par l’enveloppe du bâtiment, les équipements et les processus énergétiques puis enfin les comportements, tous les leviers ont été activés pour le confort d’été. Lors des canicules de 2019 à 2021, périodes de pics de chaleur à plus de 38°C (avec peu d’abaissement nocturne), la température (24 à 25 °C) et l’hygrométrie (entre 40 à 60 %) dans les locaux sont restées stables, au sein d’un bâtiment positif en énergie. La redistribution vers le réseau électrique était à plus de 70 % de l’énergie produite par le bâtiment en été.
Pourquoi l’hygrométrie ? C’est un facteur déterminant de la température ressentie. Chacun de nous peut supporter une température de 28 °C avec une hygrométrie à 40 % en adaptant sa tenue. Mais avec une hygrométrie à 80 ou 85 %, l’ambiance devient vite étouffante, comme dans les villes d’Asie du Sud-Est. Chez KTR, pour sensibiliser et mobiliser les usagers, nous avons ainsi mis en place des capteurs avec des diodes lumineuses (vert, rouge, orange) pour les alerter en cas d’hygrométrie ou de CO2 trop élevés avec deux consignes : surventiler quelques minutes ou ouvrir les fenêtres bois abattantes.
Pour agir de manière passive sur le confort d’été, la première des actions a été de déminéraliser les parkings en retirant les bitumes au profit d’un sol perméable et circulable composé de gravillons placés dans des structures légères en nid d’abeille. Le couvert végétal dans le périmètre du bâtiment et la réduction de surfaces artificialisées sont des dispositifs efficaces. Dedans, dehors, sur les toits…, le végétal est partout chez KTR, ce qui contribue largement au confort d’été. Le végétal est également une source de plaisir et un élément nourricier, à l’image de ces plants de houblon qui protègent la façade sud du soleil et qui participent à la production de 2 000 bouteilles de bière estampillées KTR. Chacun est libre de récolter les fruits de cette collaboration avec la nature, de profiter du jardin potager, un lieu de fraîcheur, de convivialité mais aussi de réunion informelle.
Le stress nous rend intolérant à la chaleur. Le Jardin potager est un lieu apaisant qui permet de réduire le stress qui augmente nos métabolismes énergétiques. Avec une conception bioclimatique, le bâtiment KTR est frugal en énergie. Outre le houblon, la protection solaire est assurée par les toitures végétalisées mais aussi des couvertures actives (panneaux solaires), qui font office d’ombrières pour la toiture. Des casquettes photovoltaïques en autoconsommation protègent du rayonnement solaire les larges baies vitrées équipées de brise-soleil orientables. L’enveloppe, la peau du bâtiment est performante : le déphasage thermique (temps que met le flux de chaleur pour traverser la paroi) est supérieur à une dizaine d’heures pour les parois pleines. L’enveloppe protège de manière passive les habitants. Elle est biosourcée (chanvre et lin) et protégée par un bardage en bois reconstitué.
Quand l’histoire nous souffle des solutions
Brasseurs d’air, béton de chanvre ou de terre à régulation hygrothermique, module adiabatique (chaleur latente), sondes géothermiques ou puits canadiens : ces techniques de rafraîchissement décarbonées du XXIe siècle renouent avec les savoirs ancestraux.
Nous devons aux Chinois l’invention du premier système de rafraîchissement décarboné : l’éventail… ainsi que du premier ventilateur de plafond rotatif (manuel)… Si les Romains utilisaient les tunnels souterrains, qui véhiculaient l’air extérieur entrant à 12°C et maintenaient la fraîcheur dans les maisons en plein été, les habitants du Moyen-Orient orientaient les fenêtres des maisons traditionnelles au nord, tandis que les immeubles étaient dotés de « tours à vent » pour capter et faire circuler les vents dominants. Exemple : Shibām, la « Manhattan du désert », est une ville datant du XVIe siècle avec des immeubles en terre à plus de 30 mètres de hauteur. Pendant la journée, lorsque le soleil tape sur la façade, celle-ci absorbe lentement la chaleur, qui se libère progressivement à la nuit tombée, permettant au bâtiment de conserver une température confortable toute la journée. Au XVIe siècle, le ruissellement n’était pas encore une « théorie » …, mais un système naturel de rafraîchissement par évaporation de l’eau pour réduire la température de l’air. Au XVIIIe siècle, en Europe, certaines régions intégraient également des blocs de glace dans les réseaux de ventilation : en hiver, la glace provenant d’étangs ou de rivières gelés était stockée dans des systèmes de glacières permettant de disposer d’une partie du froid en été.
Un article signé Marc Campesi, Diagonale Concept